Quatre questions à Antoine Jourdain, directeur technique d’Enedis :
Antoine Jourdain © Médiathèque Enedis / Philippe Marchin
Question 1 : Le projet de PPE 2019 – 2028 a été publié par le gouvernement le 25 janvier et devrait être adopté dans quelques semaines : quels impacts sur les activités d’Enedis ?
Au travers de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) publiée le 25 janvier 2019, le gouvernement pose les bases de la stratégie de la France pour l’énergie et le climat à l’horizon de l’année 2028. Ceci intervient dans un contexte où tout à la fois la transition écologique et la révolution numérique imposent une transformation en profondeur du secteur énergétique.
Pour les réseaux de distribution d’électricité gérés par Enedis, les enjeux sont de taille : il s’agit d’accueillir une production massive d’énergies renouvelables, d’accompagner le développement de la mobilité électrique et de passer du métier de gestionnaire d’infrastructures à celui d’opérateur de systèmes de distribution intégrant les technologies numériques.
Plus d’énergies renouvelables, c’est plus de réseau.
Ainsi, deux objectifs majeurs de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie concernent directement le réseau public de distribution d’électricité. Tout d’abord l’accélération du développement des énergies renouvelables électriques : La PPE prévoit de porter la capacité installée des renouvelables électriques de 48,6 GW fin 2017 à 74 GW en 2023 et de 102 à 113 GW en 2028 (y compris hydroélectricité et RTE). Cela signifie une accélération significative du rythme annuel de raccordement au réseau des énergies renouvelables avec un doublement du rythme actuel pouvant, tous réseaux confondus, atteindre plus de 5 GW/an de déploiement pour l’éolien terrestre et le photovoltaïque. Il est à noter qu’à ce jour près de 90 % de ces capacités sont raccordées au réseau de distribution.
L’autre objectif majeur concerne le développement de la mobilité électrique : avec 5 millions de véhicules électriques ou hybrides rechargeables, l’électrification des flottes d’entreprise et celle des transports collectifs, ce sont 7 millions de points de charge électrique qui devront être raccordés au réseau à l’horizon 2030.
Question 2 : Concrètement, quel impact sur les activités d’Enedis pour accompagner la PPE ?
Au cours des dix dernières années, Enedis a su raccorder au réseau près de 20 GW de puissance cumulée sans fragiliser ni le fonctionnement, ni le rapport qualité-prix du système électrique français. Ainsi par exemple, les années 2017 et 2018 ont été des années record pour l’éolien avec une capacité raccordée sur le réseau de distribution de respectivement 1,3 GW et près de 1,4 GW en 2018.
Investissements et innovations sont nécessaires
L’intégration des volumes de puissance significativement plus importants prévus par la PPE nécessitera de nouveaux investissements de raccordement et, en amont, de renforcement de la capacité de transformation des postes sources et des postes de distribution publique. L’ampleur et la nature des coûts d’adaptation du réseau à moyenne tension (20 kV ou HTA) et à basse tension (230 V ou BT) dépendront des types de projet et de la bonne coordination entre les acteurs pour leur déploiement. Ainsi, à titre illustratif, il nous faut distinguer les impacts sur le réseau en fonction de la taille des projets :
- les projets importants raccordés en moyenne tension (HTA) nécessitent la création de portions de réseau spécifiquement construites pour les accueillir,
- les projets de puissance intermédiaires (comprises entre 36 et 250 kW) sont particulièrement sensibles à la proximité physique de la consommation, engendrant des coûts d’adaptation variant de 1 à 20 suivant les configurations,
- les petits projets en basse tension (quelques kW) s’insèrent aujourd’hui plus facilement sur le réseau mais, à terme par effet de saturation de zones, pourront occasionner des coûts de renforcements locaux.
Un contexte nouveau
Mais au-delà des investissements pour les raccorder au réseau, les énergies renouvelables électriques développées massivement créeront un contexte radicalement nouveau pour le fonctionnement des réseaux de distribution d’électricité qui deviennent désormais aussi des réseaux de collecte et de répartition d’une énergie diffuse et intermittente.
Ainsi dans ce nouvel univers, pour garantir à la fois la sécurité d’approvisionnement et un coût minimum pour la collectivité, Enedis, fort de l’expérience de ses démonstrateurs, s’appuiera sur les nouvelles technologies dans plusieurs domaines :
- Des solutions techniques innovantes pour garantir le maintien d’un bon niveau de qualité de l’électricité (fréquence, tensions).
- De nouvelles méthodes d’investissements et de raccordement,
- Une gestion prévisionnelle de la conduite et de l’exploitation du réseau aux différents échelons de temps (temps réel, j-1, hebdomadaire, mensuel, saisonnier et annuel),
- Une gestion active de la production ou du stockage électrique pour traiter en temps-réel les congestions réseaux.
Question 3 : Dans quel cadre Enedis accompagne-t-elle la PPE ?
L’accompagnement de la PPE 2019 – 2028 est au cœur du projet d’entreprise d’Enedis qui vise, d’une part, à mobiliser l’entreprise sur les enjeux futurs de la gestion active du système de distribution et, d’autre part, à investir pour un réseau de distribution en concession de qualité et performant.
Ainsi, Enedis annonce un rythme annuel d’investissements consacrés aux raccordements croissant (de 1,1 milliards à 1,8 milliards par an) sur la période longue (2019 – 2035), accordant une part croissante à la transition énergétique et permettant de raccorder au réseau plus de 67 GW d’énergies renouvelables et 12 millions de points de charge de véhicules électriques.
Cette stratégie d’entreprise implique une coordination renforcée avec les autorités concédantes et les collectivités locales afin d’assurer les investissements les plus efficaces et de répondre au mieux aux attentes de toutes les parties prenantes.
S’agissant du financement de ces investissements, il est à noter qu’en application de la réglementation (S3REnR et SRU) seule une partie des couts de raccordement sont facturés aux demandeurs. Les évolutions récentes et actuellement en discussion tendent à faire peser sur les consommateurs d’électricité une part croissante des coûts d’insertion au réseau des énergies renouvelables (via le TURPE) ce qui pourrait notamment conduire à biaiser l’incitation à la localisation au moindre coût des énergies renouvelables.
Question 4 : Dans le présent, quelles sont les priorités selon Enedis pour atteindre les objectifs à terme de la PPE ?
Du point de vue d’Enedis pour atteindre les objectifs de la PPE, priorité doit être donnée :
- aux schémas régionaux de raccordement (S3REnR) institués par la loi TECV de 2015, qui permettent l’anticipation et l’optimisation des capacités d’accueil des EnR sur une région et une mutualisation des coûts sur les plus importantes installations,
- au développement des innovations de type « smart grids» qui permettront d’optimiser les coûts (flexibilités, raccordements intelligents, stockage, etc.).
| Le développement des Smart Grids s’appuie sur des tests en conditions réelles (matériels, solutions logicielles, télécommunications…)
Les Smarts Grids sont la combinaison de solutions avancées de pilotage des réseaux et de technologie de l’information et de la communication. Les solutions suivantes sont actuellement expérimentées par Enedis sur ses démonstrateurs :
Déploiement de capteurs / de compteurs communicants permettant de disposer d’informations plus détaillées sur l’état du réseau et les profils de consommation.
Développement d’outils de prévision de la consommation et de la production locales et d’outils de simulation des contraintes potentielles sur le réseau à la maille locale (H-1 à J-8, projections à plus long terme).
Intégration de nouvelles technologies numériques dans les postes sources (organe de transformation entre le Transport et la Distribution) et les postes de distribution publique (transformation de la moyenne tension en basse tension) : commandes numériques, réglage automatisé et dynamique de la tension, monitoring, transformateurs, capteurs…
Poursuite du développement de logiciels avancés (localisation défauts, auto-cicatrisation, régulation de tension localisée et coordonnée…).
Solutions de gestion active de l’aval compteur (pilotage de la demande, gestion des moyens de stockage) en lien avec les consommateurs, les producteurs et les agrégateurs.
 Autoconsommation collective en Hauts-de-France © Médiathèque Enedis / Julien Pitinome |
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